1870, Hautefaye - ce petit village de la Dordogne profonde s’apprête à devenir tristement célèbre. Sa rentrée dans l’Histoire dégoutera autant de personnes qu’elle en fascinera, même 150 ans après le drame. Vous l’aurez alors compris, Jean Teulé relate à travers sa plume une histoire vraie, et la véridicité de cette affaire la rend d’autant plus extraordinaire.
Les premières pages dressent le décor : un milieu bourgeois et éduqué dans lequel évolue le personnage principal faisant face à la campagne avoisinante, appauvrie et désabusée, dans laquelle vivent les futurs bourreaux. L’action se déroule un dimanche du mois d’Août, jour de foire au village, réunissant alors tous les habitants des campagnes environnantes. L’été a été sec, les récoltes sont asséchées, les bêtes assoiffées et les hommes préoccupés par la récente déclaration de guerre.
Alain de Monyès, sympathique personnage, rempli d’empathie et à l’écoute de son prochain quitte alors le foyer familial avant l’heure du déjeuner dans l’idée d’aller festoyer au milieu de ses compatriotes. Dès son arrivée, Alain sentit un malaise, une convivialité forcée ; le cœur des villageois n’était pas à la fête. En effet leurs pensées allaient au front, à ceux qu’ils allaient perdre ou à ceux qu’ils avaient déjà perdu. Avec la chaleur écrasante et l’alcool qui coulait à flot, il s’en fallait peu pour que cette masse de gens perde la tête, et c’est ce qu’il arriva. Après la lecture à voix haute de la gazette annonçant les lourdes pertes humaines, les habitants, ravagés par la triste nouvelle, se persuadèrent qu’un ennemi Prussien se trouvait parmi eux, et il s’avéra que cet ennemi désigné fut Alain de Monyès en personne. Débute alors la marche funèbre, une marche à travers le village et ses ruelles accompagnant le protagoniste jusqu’une mort lente et douloureuse.
En se voulant certes très factuel, l’écrivain décline page après page les détails macabres et sanglants de cette procession assassine mais n’entre aucunement dans une forme de voyeurisme. Il est effrayant de voir à quel point cette foule de gens ne forme plus qu’un et fait preuve d’une imagination débordante dans le seul et unique but de mettre un terme à la vie d’un de leur semblable dans d’atroces souffrances.
Le lecteur pourrait presque croire à une farce de mauvais goût tellement le scénario est poussé à l’extrême, pourtant il s’agit bien de la triste et célèbre histoire d’Alain de Monyès qui, un jour de grand malheur, paya pour tous les français morts au front.
Cette hystérie collective démontre qu’entre l’homme civilisé et l’animal il n’y a qu’un pas, qu’entre l’homme et le meurtrier un acte. L’abandon de soi, de toute forme de pensée ou de réflexion ramène l’homme à des actions autant primaires que primitives. Il semble impensable et irréel qu’un village entier puisse perdre ainsi la tête et se livrer à une telle action, pourtant les épisodes de folie collective sont monnaie courante à travers l’histoire et cette affaire n’est malheureusement pas isolée.
A la suite de la lecture de cet article, certains se demanderont l’intérêt de lire ce roman à moins d’éprouver un certain plaisir sadique à lire des détails aussi morbides et malsains sur la mise à mort d’un innocent. Cependant, outre l’importance historique de l’affaire, Jean Teulé réussit à mettre la lumière non pas sur la monstruosité du genre humain mais sur sa fragilité. Il réussit à réhabiliter le nom de ces hommes et de ces femmes qui ont perdu la tête l’espace d’un instant. Alors, cher lecteur, soyez indulgent envers ces personnes que la guerre a rendu fou. Et souvenez vous qu’il est bien plus confortable d’apporter un jugement de valeur des années après, une fois la situation mise à nue.
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