"L'impossible nous ne l'atteignons pas, il sert de lanterne". René Char
Avant toute chose, je tiens à préciser que les faits qui sont décrits par la suite font partie de mon expérience personnelle. Toute personne étant unique et réagissant différemment face à une même situation, aucune généralité ou conclusion hâtive ne peut être tirée.
Au préalable, je vais tenter de définir ce courant alimentaire. Que nous parlions du végétarien ou du végan, une même cause les anime : celle de la défense animale. Ils retranscrivent dans leurs assiettes, à travers les aliments qu’ils mangent, leurs idéaux. Effectivement, face aux conditions de vie des animaux au sein d’élevages intensifs, face aux scandales des abattoirs, la question « est-il moral de continuer à manger des produits d’origine animale ? » se pose de façon légitime. Des courants de pensée dérivant du « welfarisme » voient le jour et en découlent alors de nouvelles habitudes alimentaires. Les végétariens excluent toute chaire animale de leur alimentation, on parle alors d’ovo-lacto-végétarisme. Tous ne suivent pas ce régime par pur souci éthique, certains le font par conviction religieuse, d’autres pour répondre à des besoins nutritionnels ou encore pour cause d’allergies. Quant aux vegans, en plus d’avoir une alimentation très restrictive, leur mode de vie et leur style vestimentaire le sont aussi. En 1951, la Vegan Society définit le véganisme comme étant la doctrine selon laquelle les humains doivent vivre sans exploiter les animaux. C’est une philosophie et une façon de vivre qui cherche à exclure toute forme d’exploitation et de cruauté envers les animaux que ce soit pour se nourrir, pour s’habiller ou pour tout autre but, et par extension, qui cherche à faire la promotion du développement et l’usage d’alternatives sans exploitation animale, pour le bénéfice des humains, des animaux et de l’environnement.
L’exploitation de l’animal par l’homme est, de façon générale, de plus en plus controversée. Suite à plusieurs témoignages d’employés travaillant dans les abattoirs ou suite à diverses associations mettant en lumière certaines techniques d’exploitations, la population prend conscience de la dure réalité. L’envers du décor est d’autant plus choquant lorsque l’image que nous en avons est faussée. En effet, tous les moyens sont bons afin d’embellir la provenance des produits d’origine animale mis en rayon ou ceux vendus sous forme d’aliments transformés. Prenons l’exemple du chocolat confectionné par une célèbre marque : leur publicité nous dévoile des vaches laitières pâturant dans de vastes hectares à la végétation luxuriante. Toutefois la réalité se veut moins bucolique, beaucoup plus morose et sombre. La plupart des exploitations laitières en France et en Europe sont intensives. A l’inverse d’une exploitation extensive, ces fermes ont subi la pression de la mondialisation ; la mécanisation a remplacé peu à peu les techniques ancestrales emmurant vivants les animaux. Les prés verdoyants, l’ombre rafraichissante des châtaigniers, les doux rayons astraux sont délaissés au profit de dalles cimentées et d’épais murs en béton. L’animal est nié dans son animalité, son individualité et sa physiologie. Il est arraché à son environnement naturel, domestiqué par l’homme mais caché aux yeux de tous. Dès sa naissance, l’animal est confiné, cloitré et sa seule perspective de voir la lumière du jour sera au moment de son transfert pour l’abattoir. Il est alors facile de subodorer l’enfer que peuvent vivre ces animaux, devenus de véritables laboratoires nutritifs. Cet animalicide, désormais connu d’un grand nombre, est décrié par tous les défenseurs de la cause animale, notamment par les végans qui voient des cadavres mis sous vide dans chaque morceau de viande.
Le simple fait de manger des produits d’origine animale fait-il alors de nous, les consommateurs, des meurtriers ?
Devons-nous alors bannir définitivement de notre alimentation les produits carnés, laitiers ect… ? Ou devrions-nous reconsidérer nos besoins nutritionnels journaliers et adapter notre consommation ?
De profession vétérinaire, je fus amenée durant mes études à visiter chaque étape de la chaîne alimentaire. D’origine limougeaude, berceau du veau sous la mère, nombreux furent mes stages en médecine rurale à côtoyer les éleveurs de vaches limousines. Ces élevages familiaux ne m’ont nullement poussée à remettre en cause mon régime carné. Ce furent les élevages intensifs de cochons, de poulets, de poules pondeuses et de vaches laitières ainsi que la visite d’abattoirs qui modifièrent profondément mon alimentation.
Le changement ne fut point radical, il suivit le lent cheminement de mes pensées. Au début, il fut peut-être même inconscient jusqu’à ce qu’un réel dégoût envers quelques aliments précis s’installe. A l’instar du fumeur avec sa cigarette, seule une envie réelle et profonde ainsi qu’une réflexion consciencieuse peuvent motiver le consommateur à modifier ses habitudes. Dans un premier temps, j’éliminais le lait bien que ma consommation ne fût jamais excessive. Puis au fur et à mesure mon frigo se vidait de tous les produits d’origine animale. Gardant une alimentation variée et savoureuse, riche en légumineuses, céréales, graines, fruits à coque, légumes et épices, je ne ressentais aucun manque gustatif. Le poids de ma conscience se trouva allégé et j’éprouvai une certaine satisfaction à l’idée d’épargner quelques vies. Cependant, cette dernière formulation n’est pas tout à fait correcte. A l’échelle industrielle, le fait qu’un individu lambda se prive de certains aliments n’a pas de conséquence immédiate. Et il est bien évident que face à un dissident, l’abattage des animaux continuerait.
Toutefois, comme le veut la loi du marché, la demande génère l’offre. Aussi, il n’est pas utopique de penser que la pullulation de personnes se revendiquant végétariennes ou végans ait un véritable impact socio-économique. Manger de la viande, au-delà d’être considéré comme une ignominie, est devenu ringard. Les industriels surfent alors sur cette nouvelle « tendance ». La mode est au « sans gluten », au « biologique », au « produit d’origine 100% végétale ». Les labels écologiques fleurissent, les stocks de lait de soja, de steaks végétaux et de lait d’amande se multiplient dans les rayons. Tous ces nouveaux produits dispendieux envahissent le marché, les éleveurs grincent des dents, les commerciaux jubilent.
Cependant, ces produits sont-ils aussi bons que l’on veut bien nous faire croire ? L’agriculture intensive n’est-elle pas tout aussi polluante que certains élevages ? N’est-il pas plus préjudiciable de s’alimenter exclusivement de céréales et de végétaux plutôt que d’adopter un régime omnivore ?
Si l’on s’attarde un instant sur l’affaire Monsanto et son glyphosate utilisé larga manu par des millions d’agriculteurs, et notamment sur ses effets cancérigènes et mutagènes sur l’homme et sur les désastres écologiques qu’il engendre, tout argument visant à prôner une alimentation végétarienne au détriment d’une alimentation omnivore est relatif.
Néanmoins, durant deux ans, j’ai suivi un régime végétarien puis vegan. Survinrent alors certains troubles physiques. Peu à peu, je perçus une diminution de mes capacités cognitives telles que ma concentration, ma mémorisation. Je me sentis affaiblie, comme vidée de toute énergie, apathique, éteinte mentalement et physiquement. Puis mes mouvements s’accompagnèrent de légers tremblements asynchrones et devinrent moins précis. Je fus alors en proie d’une grande panique, croyant déclarer une maladie neurologique. Des tests me furent alors prescrits et il s’avéra que j’étais fortement carencée. Mes analyses sanguines révélèrent une anémie ferriprive, une carence en vitamine D, en vitamine B9 et en vitamine B12 expliquant ainsi chacun de mes symptômes. Tous les médecins confirmèrent mes soupçons, mon changement alimentaire en était la cause. Une carence, bien que dans la majorité des cas bégnine, peut s’avérer grave et favoriser notamment l’apparition de maladies neuro-dégénératives. Une anémie se définit comme une diminution du taux d’érythrocytes, du taux d’hémoglobine et de l’hématocrite. Dans le cas d’une anémie ferriprive, elle survient en raison d’une carence en fer. Ce dernier permet la fixation de l’oxygène au niveau de l’hémoglobine. Une anémie se traduit donc par une diminution de la capacité du sang à transporter l’oxygène. Elle peut aussi résulter d’une carence en cobalamine, plus communément connu sous le nom de vitamine B12. Effectivement, cette dernière est impliquée dans l’érythropoïèse et joue un rôle essentiel dans le fonctionnement correct du système nerveux. Il n’est pas utile d’approfondir plus en détails ces détails physiologiques pour en comprendre l’importance.
Toutefois, une question primordiale subsiste : quels sont les aliments qui contiennent le plus ces éléments ? Il n’est pas nécessaire d’être doté d’une grande sagacité pour répondre à cette interrogation. Le fer se retrouve exclusivement dans les viandes rouges, la volaille, les abats et les produits de la mer. Il en est de même pour la vitamine B12 qui est en majeure partie dans les crustacés, les poissons, les viandes, les abats et les œufs. Je fus alors curieuse de savoir si mon état carencé était un cas isolé dans la communauté végane ou s’il était fréquent. Quand bien même il m’eut été impossible de converser de vive voix avec plusieurs vegans, le simple fait de parcourir des sites spécialisés m’a montré qu’il existait bien une corrélation positive entre ce mode de consommation et l’état de santé global de la personne. Invariablement, et donc inéluctablement, le produit phare rencontré dans la rubrique « top ventes » se trouve être une boite de gélules de vitamine B12 ou de comprimés à croquer multivitaminés. Je me suis alors demandée : un régime alimentaire entraînant de telles carences est-il bon pour la santé ? Oserais-je même dire n’est-il pas dangereux pour la santé ? Et sans tenir des propos alarmistes ou réprobateurs, n’est-il pas risqué de laisser des parents contraindre leurs enfants à suivre ces régimes alimentaires ?
L’homme introduisit la viande pour la première fois dans son alimentation il y a 3 millions d’années. Ce régime carné, perfectionné par la suite par la cuisson de la viande fut bénéfique pour l’homme. Ses muscles et son cerveau se développèrent considérablement. Il est alors impossible de nier l’importance de la viande dans l’évolution de l’homo sapiens. L’homme n’est pas végétarien, il n’est pas non plus carnivore mais il est omnivore. Cela signifie donc que le bon fonctionnement de son corps passe par un régime équilibré et varié, la viande et les produits d’origine animale en faisant partie. Afin d’illustrer mes propos, je pourrais citer un conte du Père Castor destiné aux enfants : celui de Marlaguette et de son loup. Cette petite fille lui interdit de tuer des animaux pour subvenir à ses besoins, elle l’obligea à suivre un régime végétarien. Par amour pour elle, le loup accepta de renoncer à ses instincts et se nourrit de myrtilles et de champignons. Mais plus les jours et les mois passaient, plus le loup devenait faible, chétif et malingre. Marlaguette comprit alors qu’il allait mourir en raison de son alimentation « contre-nature ». Elle accepta finalement que le loup reprenne sa place de carnivore au sein de la chaine alimentaire mais qu’il ne tue que lorsqu’il avait faim. Soit, l’homme n’a plus besoin de s’armer et d’aller chasser afin de se procurer de la viande, il a tout à disposition à tout moment. Mais cela ne lui enlève en rien son statut d’omnivore et par la même de « prédateur » pour l’animal. Ainsi au lieu de vouloir remettre en cause la nature même de l’homme, peut-être devrions-nous reconsidérer, réexaminer la façon dont il se procure ses ressources alimentaires d’origine animale.
La mise en vente de la viande dans des grandes surfaces et donc la mise en rayons de tonne et de tonne de morceaux de viande à prix défiant toute concurrence représentent le véritable problème. En effet, cette mise à disposition ad libitum du produit le vulgarisa et le banalisa. Cette viande à profusion poussa à la consommation, la demande augmenta alors de façon exponentielle. En amont, il fallut donc soutenir cette cadence élevée d’approvisionnement. S’en suivirent alors la création puis la multiplication des exploitations intensives. La machine mondialisation fut lancée, le cercle vicieux s’installa. Et nous voilà, des années après, à blâmer l’essence même de l’homme au lieu de s’attaquer plutôt aux vraies origines du mal. Sans pour autant l’interdire, notre consommation de viande doit être responsable avec notamment l’application de principes éthiques et moraux que ce soit dans l’élevage ou l’abattage des animaux. Comme l’énonce d’ailleurs Peter Singer, défenseur du courant de pensée welfariste, « un omnivore consciencieux est une position éthique défendable ».
In fine, toute personne est libre de consommer de la viande ou de ne pas en consommer. Toute personne est libre de devenir végétarienne, végane ou de ne pas le devenir. Mais il est important avant tout de prendre conscience des différents enjeux dont il est question. Et quoiqu’il en soit, il n’est pas de plus belle bataille que celle de vouloir défendre et protéger la cause animale. Comme l’écrivit si justement Rousseau dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes en 1755 : « Il semble en effet que si je suis obligé de ne faire aucun mal à mon semblable, c’est moins parce qu’il est un être raisonnable mais c’est parce qu’il est un être sensible, qualité qui, étant commune à la bête et à l’homme, doit au moins donner à l’une le droit de ne point maltraitée inutilement l’autre ».
Salut Marie,
Il m'a semblé nécessaire après lecture de cet article de proposer quelques pistes de réflexions supplémentaires.
Tout d'abord il faut savoir que la supplémentation en B12 est effectivement indispensable pour toute personne souhaitant diminuer fortement voire éliminer toute consommation de chair ou sécrétions animales. Ce qui induit l'obligation de consommer un supplément vitaminique. Avec cette supplémentation, "les régimes végétariens et végétaliens sont adaptés à tout âge et à toute étape de la vie, y compris la grossesse et la petite enfance". Sources OMS.
On peut s'interroger tout comme tu le fais sur la "normalité" d'un tel régime alimentaire qui rend l'homme dépendant d'un petit comprimé. Mais en ce cas il faudrait également s'interroger sur la normalité. L'être humain…